“Elle a joui, c’est qu’elle était consentante !”
Voilà comment tout a commencé.
Par une petite phrase échangée avec une amie autour d’un café.
A l’époque, moi, toute jeune avocate nouvellement diplômée.
Une ‘hippie du droit’ comme j’aimais à me qualifier.
Un parcours d’étude avec pour objectif de m’engager au service de causes justes.
Pleine de beaux idéaux, encore bien innocente.
En face mon interlocutrice, une consœur*.
Une femme brillante que j’estime profondément.
A ce moment-là, elle me parlait d’un cas qu’elle avait eu à traiter.
Une femme qui accusait de viol le client que ma consœur défendait.
Et comment celle-ci a plaidé le dossier.
“Elle a joui, c’est qu’elle était consentante !”
Le critère de la jouissance comme preuve du consentement…
Et donc de l’absence de viol…
Je crois m’étrangler.
Au-dedans de moi, ça bouillonne. J’ai envie de crier.
Mais rien ne sort.
Je n’ai pas les mots.
Je ne sais comment défendre ce qui n’est alors encore qu’une intuition.
Aussi ignorante que choquée, je me tais.
Pourtant, à l’intérieur, cette petite phrase fait l’effet d’une bombe.
Comme une déflagration qui fait imploser ma vision du droit justicier.
Des années d’étude et le Saint Graal du Barreau prêt à pavaner dans un futur cabinet, pour me rendre compte combien mes connaissances sont encore limitées.
Moi qui avais axé tout mon parcours avec pour idéal de mettre l’outil juridique au service des plus vulnérables, tout à coup, je comprends combien celui-ci peut s’avérer imparfait.
Pire, devenir un instrument d’injustice quand sa puissance vire en suffisance.
Double peine pour la victime.
Ne pas être comprise quand elle même peine à comprendre ce corps qui l’a doublée.
Être hantée par la honte et la culpabilité, quand l’auteur, lui, n’est pas inquiété.
Voilà comment, en quelques mots, mon beau monde s’est effondré…
… Quelques années plus tard, au cours d’un accompagnement avec une jeune femme, victime de viol par son père quand elle était enfant* :
“Depuis qu’on a mis des mots, qu’on a apposé les qualifications juridiques sur mon passé, je me sens plus apaisée. Comme si en faisant face à mon vécu, j’étais désormais plus ancrée, prête à me reconstruire, à regarder devant.”
Après des mois d’accompagnement thérapeutique, elle a fini par relier ses symptômes post-traumatiques aux violences qu’elle avait subi.
Nommer.
Les gestes que son père appelait alors de simples “câlins de Papa” quand il s’agissait de viols incestueux.
En face de cette femme, moi, désormais Thérapeute conjugale et familiale, depuis formée à l’accompagnement des femmes victimes de violences.
Plusieurs années se sont écoulées depuis ce fameux café.
Entre-temps, un paquet de formations sur le psychotrauma pour comprendre l’emprise, la sidération. Expliquer la mémoire traumatique et la dissociation.
Beaucoup de lectures et de recherches pour aller chercher ces fameuses clés de compréhension qui me manquaient, ces arguments pour étayer mon intuition que non, excitation ne vaut pas consentement.
Qu’une stimulation peut déclencher de manière mécanique un orgasme, sans pour autant que le cerveau ne le veuille.
Que ce qui peut paraître évident car visible en matière de sexualité masculine s’applique aussi s’agissant de la sexualité féminine.
Qu’une réaction physiologique ne suffit pas à établir le désir, et donc ne peut s’apparenter au consentement.
Comprendre la subtilité des mécanismes. Expliquer les fonctionnements. Normaliser les réactions.
De l’accompagnement toujours, mais une nouvelle pratique.
Le thérapeutique sans pour autant désavouer l’outil juridique.
Mais le manier avec humilité. Faire primer l’humanité.
Lui donner de la rondeur, un supplément d’âme.
Le mettre au service de la reconstruction.
Militer pour les droits et, au-delà, œuvrer pour l’épanouissement féminin dans sa globalité.
Voilà comment, en quelques mots, mon parcours a commencé.
* Par respect pour les personnes mentionnées, les situations ont été modifiées.
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